Interview de Marion Waterkeyn, 22 ans, modéliste chez Isabel Marant
Interview réalisée le 10 janvier 2011 au café Link avec un dictaphone
« Un créateur de mode s’inspire de l’art mais aussi de la vie en générale »
Pouvez-vous nous indiquer votre parcours ?
J’ai commencé par une première littéraire, je ne savais pas trop ce que je voulais faire, à la fin de cette année de première je me suis réorientée vers un bac technique, j’ai donc du refaire une seconde technique et j’ai choisi le modélisme, ce qu’il y avait de plus créatif. Après mon baccalauréat, j’ai fait deux ans d’un BTS de modélisme en alternance. J’avais donc deux jours de cours et trois jours en entreprise. La première année, j’ai effectué mon stage chez Nathalie Durrieux, une créatrice de robe de mariée et la deuxième année, j’ai commencé à travailler chez Isabel Marant. Ca s’est très bien passé et à la suite de mon stage ils m’ont embauché.
Pouvez-vous nous expliquer votre poste actuel ?
Dans une entreprise de mode, il y a
vraiment plusieurs métiers. Tout d’abord il y a le créateur qui
décide un peu de tout. Il donne tout d’abord du travail aux
stylistes qui vont essayer de voir si ce qui leur est demandé est
réalisable. Ils vont faire beaucoup de recherches sur les tendances,
les coloris, les matériaux. Ensuite, il y a les modélistes dont je
fais partie, qui prennent le croquis, l’analysent et l’exécutent
en volumes. Pour faire ce modèle, on peut utiliser de la toile. On
peut aussi travailler à plat sur des feuilles blanches ou en
calques. C’est un travail beaucoup plus difficile car il faut
connaître toutes les mesures, imaginer qu’en réalité c’est en
volume, que des plis vont se former.
Tout doit être calculé.
Ensuite, les modélistes peuvent coudre leur travail pour voir ce que
ça donne.
Il faut aussi réaliser de nombreux tests tissus pour
voir comment le tissu réagit, comment il va tomber.
Pourquoi avez-vous choisi le milieu de la mode ?
C’est une envie qui est venu en un an, ça a vraiment été un déclic. J’ai commencé à créer des petites pièces, des vêtements que je réalisais entièrement moi-même. J’ai toujours été très manuelle mais à partir de ma première littéraire cela s’est beaucoup accentué. Ensuite j’ai concrétisé cette envie en faisant des études plus techniques et en choisissant le modélisme. Aujourd’hui encore, en dehors de mon travail je réalise des pièces de mode que je conçois entièrement. Aujourd’hui je ne pourrais pas m’imaginer travailler dans un autre milieu même si je trouve parfois que l’ambiance est difficile.
Considérez-vous que la mode soit un art ? Existe-t-il des vêtements que vous avez créés que vous considérez comme des œuvres d’art ?
La mode en soit en est certainement un
mais il faut faire des distinctions. Le prêt-à-porter ne peut pas
être considéré comme un art. Au départ, la mode est quelque chose
d’utile. Ensuite, il y a la mode esthétique qui est beaucoup plus
extravagante. Cette mode-ci peut être considérée comme de l’art
tout comme la haute couture. Selon moi, on peut aussi dire que la
mode est de l’art quand il s’agit de pièces uniques. Tout le
travail qui a été réalisé sur le vêtement peut également
participer à faire de lui une œuvre d’art.
Je ne me vois pas
qualifier mes pièces comme des œuvres d’art, la seule chose qui
peut les en rapprocher est le fait qu’il s’agit de pièces
uniques, comme le sont les robes photographiées.
Vous inspirez-vous de l’art pour confectionner des vêtements ?
Ca m’arrive assez souvent mais en fait un créateur va s’inspirer de tout ce qui l’entoure. Il peut s’inspirer des autres. Personnellement je pourrai m’inspirer d’un tableau ou plus récemment même d’une architecture. Pour la dernière pièce que j’ai réalisée je me suis inspirée d’une très jolie rampe d’escalier.
Quelle est votre ambition professionnelle ? Avez-vous des projets qui vous tiennent particulièrement à cœur ?
J’ai un projet qui me tient particulièrement à cœur : celui de faire défiler des femmes normales. Je souhaiterai avoir comme mannequins des femmes de toutes tailles, de différentes couleurs de peaux, des femmes que l’on pourrait rencontrer dans la rue. Il ne faut pas oublier que c’est pour ces femmes que nous créons des vêtements, il faut donc qu’elles puissent se reconnaître, s’identifier dans nos créations. Je ne comprends pas du tout ce diktat de la mode de prendre comme mannequins des femmes maigres qui ne sont pas du tout représentatives de ce qui fait la féminité.
Interview réalisée par Fleur Davout d’Auerstaedt